Elle est là, sur scène. Devant des centaines de personnes, un dimanche pluvieux, place Jean Rey. Autour d’elle, des drapeaux font flotter dans le ciel gris les lettres colorées « Free Palestine ». Son charisme et sa beauté naturelle occupent l’espace et le temps. Elle porte un manteau d’un blanc immaculé, un keffieh posé sur les épaules tel un étendard lourd de sens qui donne du poids à sa présence. Cette étoffe la relie à celleux qui ont tissé ces fils de coton, là-bas, à Hébron. Et elle dit, au cours de son discours : « Les Palestiniens résistent, les Palestiniens existent. »
À 25 ans, Iman affirme désormais ses opinions. Elle s’est détachée du regard des autres pour plonger dans le sien, pouvoir assumer son reflet dans le miroir de cette société. Elle ne veut plus s’invisibiliser : « Il y a quelques années, j’aurais eu peur que ce genre de prise de position me porte préjudice, pour ma carrière future. Mais on ne peut pas se taire face à l’injustice. »
Issue d’une famille marocaine, Iman a grandi à Saint-Gilles, avec son frère et sa sœur, et à deux pas de chez ses grands-parents. Quand on cherche à savoir quelle enfant elle était, la dualité émerge. Deux pays, deux identités, deux lieux trop communs : la maison face à l’école. L’élève très sage, caméléon, assez blanche pour passer inaperçue, face à la petite fille arabophone, baignée dans la culture de ses origines, dont la maman porte le voile. « À certains moments, j’avais l’impression d’être dans le corps d’une autre. »
Elle pense que sa posture et son visage « d’occidentale » l’ont protégée, mais elle n’est pas dupe. Plus elle grandit, plus la naïveté la quitte. « J’ai vu les injustices de près, notamment à travers mon grand-père et mon père. Et là, j’ai su, j’ai eu un déclic : je voulais rendre la justice aux justiciables. » Alors Iman se lance dans des études de droit, elle épanche sa soif d’apprendre et devient, cinq ans plus tard, avocate en droit de la concurrence et de la propriété intellectuelle.
Elle a conscience que la justice n’est pas parfaite, et qu’on ne l’obtient jamais vraiment puisque l’arriéré du temps est déjà dommageable. La période de latence pousse bien souvent les victimes à « vivre à moitié » le temps du procès. Néanmoins, Iman y croit : être avocate permet de faire bouger les lignes. Et si elle aime mettre les formes et soigner son apparence, elle assure que pour elle, l’esthétique ne primera jamais sur les valeurs qu’elle défend, sur le fond de son propos.
Croire au destin fait partie de ses mantras. Se dire que la terre promise contient encore son lot de promesses, même s’il faut, à chaque nuit tombée, espérer et prier pour l’aube nouvelle. Elle qui devait découvrir les collines de la Cisjordanie en novembre dernier garde espoir d’un jour fouler le sol de la Palestine. Tout est question de temps, et parfois, de hasards.
Finalement, un peu comme la destinée d’Iman au sein des Ambassadeurs. Tout s’est joué au détail près. Et pourtant, c’est comme si elle avait toujours fait partie du projet. L’oralité lui colle à la peau.
C’est une simple participation à un jeu au salon MYND, en 2019, qui lui permettra de découvrir l’asso. Elle remporte le jeu « just one minute » avec le mot « résultat » (pour lequel elle parlera des systèmes scolaires scandinaves pour contrer l’échec, en une minute) et gagne une place pour les Master Class qui forment à la prise de parole. Une chose en entrainant une autre, la voilà lauréate d’Eloquentia (ancien nom de notre projet Réciproque). Elle ira même en France pour participer à la version internationale francophone du concours. Elle bénéficie de plusieurs outils à la prise de parole en public et, en tant qu’ambassadrice aguerrie, coachera à son tour bien d’autres jeunes !
Cinq ans plus tard, elle est là, sur cette scène, un dimanche pluvieux, keffieh sur les épaules. Le résultat du destin, ou le destin de ses propres résultats ?